Lorgues

MADELEINE
OU LA REINE DES AIRES

Poème de EUGÉNE DE COMBAUD; 1858
Publié dans " Sous les Oliviers. Album de la Provence" Par H.Maquan. 1861.
Les notes sont d'Hippolyte Maquan

Voyez comme elle est forte et fière
Et jolie , au milieu de l'aire ,
Les tenant tous (1) d'un bras nerveux !
De blond soleil elle se grise ,
Et rit du mistral qui tamise
La paille d'or dans ses cheveux !...

" Hu! ! la Grise! En avant la Rousse ! "
Et l'attelage se tremousse
Sans broncher, foulant paille et grain.
Au vent son chignon se dénoue. ..
Quel fard enchanteur sur sa joue !
Quels rayons dans son oeil mutin !

Oh! c'est bien la reine des aires,
L'impératrice des fermieres !. ..
Elle était faite pour régner...
Aussi que de gars, pour lui plaire ,
En plein janvier , dans la rivière
Se jetteraient sans barguigner !

Moi-même , bien que noble et riche ,
A voir trotter ses pieds de biche ,
Ses petits pieds nus par les bois.
A l'entendre chanter sans cesse ,
Elle que nul amour n'oppresse ,
Je sens mon coeur presque aux abois. . . .

C'est qu'elle est belle Madeleine ,
Avec son jupon de futaine ,
Et son frais corset de nankin ,
- Bien plus que nos dames pincées;
Avec leurs jupes boursouflées,
Et leurs corsages de satin !

Mais elle est moins belle que sage .
Et les plus méchants du village
D'elle n'ont pu médire encor !
Le curé l'appelle : ma fille ;
A ses doigts nul anneau ne brille ,
A son cou nulle chaîne d'or.

Le dimanche , quand , sur la place ,
Toutes, au tambourin qui passe ,
Courent après quelque danseurs;
- Ala grand'messe , avec sa mère ,
On la voit baisant son rosaire ,
Et priant dieu de tout son coeur.

Puis il faut l'entendre à la foire,
Comme elle sait faire l'histoire
De son âne ou de son mouton !
- Elle vend sur sa bonne mine ;
Son blé fait toujours la farine
La plus exquise du canton !

Que de braves gens, - bien qu'à peine
Elle ait seize ans, - de Madeleine
Ont déja demandé la main !
-Mais sa mère est veuve...et cassée!...
L'ainé des fils est à l'armée,
Et trois ne gagnent pas leur pain

C'est elle qui remplit la cruche,
Qui de beau pain garnit la huche,
La mère à tous, - sans s'en vanter!-
La providence du ménage
C'est Madeleine ! - quel nauffrage,
Quel deuil s'il fallait les quitter!

Oh! non, non !reste Madeleine.
Eh bien! ­ la fille en vaut la peine! -
Le plus amoureux attendra.
Les noces seront bien plus belles
Quand les petits auront des ailes,
Quand le grand frère reviendra!

Bien que tu ne sois pas marquise,
Je veux te mener(2) à l'église
Comme premier garcon d'honneur,
-Car jamais fille de village
Ne sut à plus charmant visage
Unir un aussi brave coeur ! ­

Mais déja la nuit venue;
Le grain sous la paille menue
Partout s'étend également .
La fourche en main, avant l'aurore ;
S'il fait bon vent, à l'oeuvre encore
On se remettra bravement.

Et la grand'porte de la ferme
Sur bêtes et gens se referme ;
Autour du rustique festin
Sans désordre chacun s'empresse,
Et Madeleine avec largesse
Dispense le pain et le vin.

On chante, on rit- O gens des villes,
O vous si pleins de jours stériles,
A qui Dieu jamais ne parla ,
Pour un jour brisez votre chaîne,
Venez voir dormir Madeleine
Vous direz : le bonheur est là!

EUGÈNE DE COMBAUD

Lorgues, 1858.

 

1) Tous les chevaux ou mules, mulets ou cavales.-Celui ou celle qui fait fouler occupe le centre d'un cercle , dont les bêtes toujours en mouvement forment la circonférence , et les cordes par lesquelles chacune est tenue, les rayons - Ce manège de conducteur exige beaucoup de vigueur et d'adresse.

 
 (2) Mener, c'est le mot en Provence.- On mène (donne le bras) une telle à un marriage, baptême,etc.

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