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Marius TRUSSY, une vie d’infortunes

La vie de Marius Trussy, poète provençal auteur de Margarido, était jusqu’à présent très mal
connue. Les recherches que j’ai effectuées pour mon livre Lorgues, le Temps Retrouvé, paru l’an
dernier aux Éditions Equinoxe, ont livré quelques informations sur ce personnage dont Louis
Jourdan, Toulonnais, rédacteur au journal parisien Le Siècle, et auteur de la préface de Margarido, écrivait : « Les évènements de la vie, les tempêtes politiques dont sa famille eut particulièrement à souffrir l’emportèrent, bien jeune, loin du pays qu’il aimait avec passion. Que de misères ! que de luttes ! que d’infortunes ! C’est tout une Odyssée que la vie de Marius Trussy. »

Victime de la Restauration


Joseph, François, Marie Trussy, dit Marius, est né à Lorgues le 18 mars 1797 dans la maison
familiale de la rue Bourgade, ancienne demeure des Pontevès-Bargemon, achetée à la Révolution
par son père Jean François Trussy.
Jeune, il s’enthousiasma pour l’épopée napoléonienne. Lorsque celle-ci prit fin, cet « enfant
tout frais éclos de la grande Révolution
», comme il l’écrira plus tard, avait 19 ans, il était soldat
dans la Légion du Var en garnison à Draguignan. En mars 1816, il tint des propos pro bonapartistes,
affirmant que « sous peu le petit Caporal arriverait ». Pour ces paroles jugées « séditieuses », il
sera condamné à 2 ans de prison par le tribunal correctionnel de Draguignan. Cette peine sera
ramenée en appel par la cour royale d’Aix à : « dix mois d’emprisonnement, à cinquante francs
d’amende, à cinq ans d’interdiction de droits civiques, civils et de famille… à la mise en
surveillance pendant cinq années
». Le jeune Trussy invoqua l’état d’ébriété dans lequel il se
trouvait alors, et la cour jugea « que si l’état d’ivresse n’excuse point un pareil propos, du moins
qu’il en atténue la gravité, surtout quand on considère la jeunesse du prévenu Trussy et le vif
repenti qu’il a manifesté par-devant la Cour pour les avoir tenus
».
Après la prison, c’est dans le département du Nord, à Avesnes-sur-Helpe, près de Maubeuge,
que Trussy fera sa vie. Il s’y marie en 1820 et y exerce à partir de 1826 la profession d’architecte
départemental. Sa femme meurt en 1844, âgée de 46 ans, lui laissant trois enfants. Il quitte alors le
Nord pour s’installer à Paris.

Arrêté en 1851

Dans la capitale, il fréquentera les milieux républicains, après la Révolution de février 1848. Il
sera secrétaire d’une commission fondée en mars pour « vérifier et classer les titres des condamnés
politiques républicains de tous les temps, de tous les pays et particulièrement des condamnés
politiques de la Restauration
». Il obtint aussi cette année-là un travail à l’inspection des travaux
d’entretien du Louvre et des Tuileries. Mais, encore une fois, Trussy sera victime de ses propos.
Lors du coup d’État du 2 décembre, si le peuple de Paris réagit peu, il y eut tout de même un
début d’insurrection. L’Assemblée et les barricades parisiennes résistèrent jusqu’au 5 décembre.
Dès le début de l’agitation, Trussy se rendit immédiatement au palais des Tuileries.
Que déclara-t-il exactement ? En tout cas ses propos lui valurent d’être dénoncé et arrêté.
Dans son interrogatoire, il est mentionné : « Vous êtes inculpé d’avoir pendant le cours de
l’insurrection dernière, tenu dans le château des Tuileries des propos qui semblaient indiquer
l’espérance de voir l’insurrection triomphante, en même temps que la certitude de son succès
d’avoir tenu ces propos pour porter le trouble dans l’esprit des personnes qui étaient alors au
Château
».
Trussy rétorque qu’il est simplement venu prévenir son supérieur M. Bourgeois, architecte,
qu’avec l’insurrection, les Tuileries étaient un endroit particulièrement dangereux et que ce dernier
devait se mettre en lieu sûr.

Trussy est placé aux arrêts au fort de Bicêtre. Son fils Eugène se démène pour essayer de le
voir et pour réunir des éléments et des soutiens utiles à sa défense. Il en appelle à l’armée, à la
justice, il mettra même à contribution les voisins de son père qui déclareront :
« Nous soussignés habitants la rue des Maçons Sorbonne certifions que le Sieur Joseph François
Marie Trussy habitant le n°5 de la dite rue est resté paisiblement chez lui durant les évènements qui
viennent d’avoir lieu
».
M. Bourgeois témoignera aussi en sa faveur : « c’est sans doute pour me prouver sa
reconnaissance qu’il a cru devoir venir aux Tuileries pour me prévenir que je n’y étais pas en
sûreté. La conduite modérée qu’il a tenue depuis 1848, l’assurance qu’il m’a plusieurs fois donnée
qu’il avait renoncé à ses anciennes relations, le témoignage des deux fils de son premier mariage et
le témoignage de tous ses voisins, tout me fait penser qu’il ne s’est mêlé en rien aux derniers
évènements. Je crois donc pouvoir vous supplier, mon Général, de faire relaxer le Sr Trussy, qui,
suivant vos ordres, ne travaillera plus aux Tuileries
».
Finalement, la commission militaire instituée pour statuer sur les cas de mise en liberté ou de
renvoi devant le Conseil de Guerre décidera le 22 décembre que :
« Après avoir lu les pièces du dossier et en avoir délibéré, a rendu la décision suivante :
Le né Trussy sera mis immédiatement en liberté à défaut de charge
».
Trussy est libre mais sans emploi et sans ressource.

Vie à Paris

Marius Trussy se remarie en 1855. Il est alors proche du journal Le Siècle, hostile au pouvoir.
Gagnant difficilement sa vie comme « ingénieur civil », il poursuit parallèlement un travail
d’écriture et parvient à faire publier tardivement en 1861 Margarido. Il a alors 64 ans.
Poème en vers provençaux, avec traduction française en regard du texte, cet « Hommage aux
habitants de Lorgues, ma patrie
» raconte les amours malheureux de deux jeunes gens contrariés
par une différence de fortune. L’action se déroule sous le Premier Empire et la Restauration dans un
hameau lorguais.
Le livre sera publié à Paris, chez Garnier frères et à Marseille chez Marius Féraud.
Pour ses admirateurs, l’oeuvre de Marius Trussy serait pour la Provence orientale comparable à celle
de Frédéric Mistral pour le Comtat, et Margarido de la même veine que Mireille.
Mais, malgré ses qualités et ses attraits, Margarido n’aura pas le succès de Mireille et la tardive
carrière littéraire de Trussy ne pourra pas s’exprimer. Il avait pourtant d’autres projets : il annonce à
la fin de Margarido la parution prochaine de La Réneïdo, poème épique de 450 pages, sur la
Provence du Roi René, et de « Uno Méléto sénso uou », recueil de poèmes burlesques, légendes et
contes de 500 pages. Ces oeuvres pourtant écrites ne seront pas publiées.
À la liste de ses infortunes s’est, depuis plusieurs années, ajoutée la maladie. Trussy, infirme,
dépendra du travail de sa femme. En 1865, celle-ci trouvera un emploi de couturière dans une de
ces nombreuses usines de confection qui s’implantaient dans l’Oise à cette époque. Le couple
s’installe à Creil, Trussy y décédera le 26 septembre 1867.
À Lorgues, une place et une école portent son nom.


Alain MARCEL - Juin 2018