Que la vérite historique est lente parfois à se faire ! Il semble que ces faits contemporains devraient être connus de tout le monde, dans leurs moindres détails. Et souvent ce sont précisement ceux-là sur lesquels il est le plus difficile de porter un jugement certain, surtout lorsque le parti du plus fort a intérêt à les dénaturer. Jusqu'à ces derniers temps, on a laissé dormir, dans les rapports de l'administration et dans1esjournaux favorables au coup d'Ètat, les monstrueuses et lâches accusations dirigées contre ceux qui, en 1851, s'armèrent pour la défense du droit et de la liberté. Il a falIu un réveil de l'opinion, et alors on a appris de quel côté se trouvaient les mesures illégales et les actes atroces. Dans leVar, un seul meurtre fut commis par les insurgés, à Cuers, dans une insurrection partielle. Mais la grande levée démocratique du département, la colonne qui partie du Luc et de La Garde-Freinet, alla mourir dans la plaine d'Uchâne, traversa les bourgs et les villes, sans laisser derrière elle une seule goutte de sang. Ils étaient trois mille et ils ne commirent pas même un acte de maraude. Et quand on les eut sabrés, quand on eut fusillé de sang froid une douzaine d'entre eux, on leur jeta à la face l'injure d 'assassins. C'est une funèbre plaisanterie, n'est-ce pas? Vous savez bien quels furent les assassins. Si la victime de Cuers demandait du sang, cette victime qui n'avait pas même été frappée par ceux que vous avez égorgés, vous en avez versé une mare assez grande pour que tous les bourreaux de France soient jaloux de vous.

Je ne puis citer toutes les atrocités que raconte M. Noël Blache. Il en est pourtant une que je crois n'avoir lue nulle part, et qui mérite la plus grande publicité. Il s'agit du meurtre de Besson, d'Hyères. Ce citoyen, grand chasseur, s'était caché dans un marais, à la tour du Jaï . On envoya un détachement de marine à sa poursuite:
" Le détachement partit ; chose douloureuse, sa mission était si peu cachée, que sur son passage plusieurs enfants crièrent ces mots: Van tua moussu Bessoum ( on va tuer monsieur Besson...).
" Besson ignorait tout. A huit heures du matin il dejeunait ce jour-là à la tour du Jaï avec Chichin Buscaille (un homme qui allait vendre à la ville le gibier qu'il tuait. Besson, lui dit : "Je vais me cacher. Cette nuit, j'ai tué deux canards dans le marais, va les chercher, et tu les vendras à Hyères, pour mon compte. " Il lui indiqua l'endroit où les canards étaient tombés, et le quitta pour aller dormir dans son trou.
" Buscaille a dit depuis qu'à ce moment Besson laissa son carnier et son fusil derrière la porte , que Buscaille en sortant ferma derrière lui.
" Peu d'instant après son départ, les troupes arrivaient. La tour et le hangar furent cernés, tandis que des matelots, pénétrant dans l'intérieur, fouillaient la paille à coups de baïonnettes.
" Besson, entandant ce bruit inaccoutumé, souleva les tuilles de la toiture, et parut au-dehors. Un cri "Feu!" retentit, et le pauvre Besson tomba foudroyé. Un matelot monta sur le toit, et fit choir avec les pieds le cadavre, qui roula lourdement sur le sol...
" Plusieurs jours après, des braconniers aperçurent encore, le long de la façade de la tour du Jaï, de longs sillons de sang.
" Besson laissait sans ressource une femme et un enfant . "

 

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